« Lorsque j’étais archevêque de Buenos Aires (…) J’ai eu la joie
d’entretenir des relations d’amitié sincères avec certains
représentants du monde juif. Nous avons souvent parlé de notre identité
religieuse respective, de l’image de l’homme contenue dans les
Ecritures, et des modalités permettant de maintenir vivant le vrai sens
de Dieu dans un monde sécularisé » (AJCF, Amitié judéo-chrétienne de
France, 25 juin 2013).
Jorge Mario Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, a été élu pape le
13 mars 2013. Soucieux d’un retour aux sources apostoliques, il conduit
l’Eglise dans un dialogue intercommunautaire constant. Le rapprochement
avec la communauté juive est très significatif de cette volonté de
briser les tabous, de dépasser les contraintes, et les passifs.
Les amitiés juives de François 1er ne datent pas d’hier. Au moment de
l’attentat à la bombe du centre communautaire juif de Buenos Aires
(AMIA) en 1994, cet « homme chaleureux, doux et simple » connu pour
faire sa cuisine, vivre dans un appartement modeste et répondre lui-même
au téléphone, a fait preuve de solidarité avec la communauté juive », a
déclaré le rabbin David Rosen, de l’American Jewish Committee.
Une solidarité qui n’a jamais cessé. En tant qu’archevêque, il a
assisté aux offices de Rosh Hashanah à la synagogue Bnei Tikva Slijot de
Buenos Aires en Septembre 2007. Le rabbin Israel Singer a dit qu’ils
distribuaient ensemble de l’aide aux pauvres de Buenos-Aires dans les
années 2000, dans le cadre du programme entre juifs et catholiques
appelé Tzedaka. « Le Congrès juif d’Amérique latine a eu une
relation étroite avec Jorge Bergoglio pendant de nombreuses années », a
déclaré Claudio Epelman, directeur exécutif du Congrès juif
latino-américain. « Nous connaissons ses valeurs et ses forces. »
(Jewish telegraphic Agency, JTA).
Recevant une délégation du Comité juif international pour les
consultations interreligieuses, le pape François a rappelé en juin 2013
les « liens d’amitié » entre Juifs et Catholiques (radio Vatican, 24
juin 2013).
« Un Chrétien ne peut pas être antisémite ».
Le message est clair, soucieux d’avenir : Juifs et Chrétiens se
ressemblent, leurs racines communes les rapprochent. Connaissance et
compréhension réciproques les conduisent à « une référence
fondamentale » qu’ils partagent en tous points. « L’Eglise reconnait que
les prémisses de sa foi se trouvent (…) dans les patriarches, Moïse et
les prophètes » (Déclaration Nostra Aetate du Concile Vatican II).
En un an seulement, le chemin parcouru est déjà considérable. Le
pape François représente pour les Juifs du monde une main tendue qu’il
est utile d’apprécier à sa juste valeur.
Ce chemin accompli, c’est d’abord à la personnalité du pape lui-même
que nous le devons. François est un précurseur, dont le charisme et
l’étoffe donnent à la fonction papale une popularité et une aura
incontestables.
Il est vrai que ce 266ème évêque de Rome innove beaucoup : premier
pape non européen, il est le premier du continent américain, et le
premier cardinal nommé par Jean-Paul II à accéder au magistère suprême.
Beau destin pour ce fils d’immigrés italiens originaires de Turin et de
Gênes, né dans une famille ouvrière de cinq enfants.
On lui connait des positions politiques tranchées. Anti-libéral, il
prêche pour une société plus juste, moins ‘’fétichiste’’ de l’argent,
faite de compromis et d’ouverture. Il se dit déterminé à lutter contre
la pauvreté mais aussi contre toutes les intolérances. C’est dans ce
sens qu’il défend une Eglise moins « narcissique » qui doit « laisser
sortir le Christ ». Conscient de l’importance du message pastoral, il
prêche pour une spiritualité plus intelligible et une institution
ecclésiastique moins « mondaine », faite avant tout d’accompagnement et
d’écoute.
Pour autant, ce pape réformiste n’est pas révolutionnaire. En
demandant de « respecter la liberté religieuse » le pape François
occulte parfois la liberté individuelle et ne se distingue pas de ses
prédécesseurs.
S’il soutient les migrants clandestins qui fuient la misère (voyage à
Lampedusa, 8 juillet 2013) et défend une « écologie de l’humanité » (24
juin 2013), il s’est opposé à l’avortement, à l’euthanasie, à la
prêtrise des femmes et au féminisme. S’il promeut une plus grande
miséricorde à l’égard des personnes divorcées et homosexuelles ainsi
qu’une plus grande place des femmes dans l’Eglise, il émet des réserves
qui ne changent rien aux positions traditionnelles. Certains actes
sexuels sont à ses yeux « intrinsèquement désordonnés (… et) ferment au
don à la vie ». Par ailleurs, « l’identité et la survie de la famille »
doivent être défendues car, dit-il, « distinguer n’est pas
discriminer ». C’est dans ce sens qu’il a fait part récemment au
président Obama, reçu au Vatican le 27 mars 2014, de son inquiétude
concernant la couverture médicale universelle (Obamacare). Celle-ci
oblige les employeurs à couvrir les frais de contraception et
d’avortement de leurs salariés.
François s’inscrit dans une continuité et un héritage.
Jean-Paul II puis Benoît XVI ont avant lui, chacun à sa façon, contribué
à une crise de conscience de l’Eglise qui, sans remettre en question
les foncements mêmes du modèle conservateur chrétien, a conduit à faire
sauter les verrous de la Grande Maison.
Voyage des papes en Israël : Paul VI (1964), Jean-Paul II (2000), Benoît XVI (2009, Reuters) |
En 2009, lors d’une visite en Israël, Benoît XVI, appelant à une
étape nouvelle et décisive dans l’histoire judéo-chrétienne, avait
qualifié l’antisémitisme de totalement inacceptable et regrettait de le
voir « relever son visage répugnant dans plusieurs parties du monde ».
Il avait affirmé l’année d’avant, à Paris, qu’ « être antisémite, c’est
être antichrétien » (source Zenit.org).
C’est dans le rapprochement avec le judaïsme que cette Eglise
d’aujourd’hui cherche sa voie, dans la vérité et le partage. « Cette
transformation frappante dans la façon dont le peuple juif est vu et
présenté, rappelait le rabbin David Rosen dans un discours au Synode
pour le Moyen-Orient le 14 octobre 2010, (…) doit encore affronter
l’influence de siècles, voire de millénaires d’enseignement du mépris à
l’égard des juifs et du Judaïsme, qui ne peut être éliminé, bien
évidemment, du jour au lendemain ».
Eh bien ce qui change avec le pape François, c’est la conviction que
le temps perdu doit être rattrapé vite, car partout la haine, la
violence et le rejet à l’égard des Juifs obligent à cette urgence.
François l’a bien compris. C’est dans l’action et un style plus
humain que les changements se font. Il n’a cessé depuis douze mois de le
prouver. Le métropolite orthodoxe grec de France, Emmanuel Adamakis,
est sûr de le voir faire « des gestes plus concrets », et le pasteur
luthérien Olav Fykse Tveit, du Conseil œcuménique des Églises (COE), est
convaincu que cet homme énergique nous « réserve des surprises, de
nouvelles perspectives ».
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