Kurt Hilkovec, héros méconnu


                                                                             


A la fin de l’année 1939, les juifs fuyaient l’Anschluss et la mise au pas de l’Europe par le pouvoir nazi. Les lois de Nuremberg et les exactions criminelles pendant la Nuit de Cristal ne laissaient aucun doute sur les humiliations à venir.

Rejoindre Eretz Israël par le delta du Danube était une excellente idée mais les places étaient chères, la route semée d’embûches et longue. Il fallait se dépêcher pour survivre. Le mouvement des pionniers du He’Ha’lutz, mouvement sioniste de la Jeunesse, avait trouvé des bateaux d’excursion souvent en triste état, qui devaient descendre le cours du fleuve jusqu’en Roumanie, à l’embouchure de la Mer Noire.

Rejoindre la Palestine, alors sous mandat britannique, n’était pas facile pour des Juifs allemands, ressortissants d’un pays ennemi. Triste ironie du sort. Leur vie dépendait de précieux et rares certificats d’immigration.

A mi-chemin, à la frontière avec la Yougoslavie, le fleuve gelé était impraticable. Les réfugiés furent stoppés et mis en quarantaine sur leurs bateaux. Personne ne voulait d’eux mais personne non plus ne voulait les laisser passer. Comme les conditions de vie devenaient précaires et que la Roumanie tardait à autoriser le passage sur son territoire, ils purent enfin débarquer sur la terre ferme.


Sabac camp 

Au printemps 1940, on les rassembla dans deux vastes entrepôts désaffectés à Šabac, à quelques kilomètres seulement en aval du village de Kladovo. La vie reprenait son cours. Les pionniers organisaient des activités culturelles et des classes pour les enfants, des kermesses et même des compétitions sportives entre les habitants du village et les réfugiés.


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Kurt Hilkovec


Kurt Hilkovec était un excellent joueur de foot né à Brème. Ce père de famille faisait partie des migrants installés à Šabac. C’était un petit homme incroyablement doué de ses jambes, un dribbleur du tonnerre disait-on, un sacré buteur aussi. On lui permit d’incorporer le club de foot local, le FC Mačva. Du jour au lendemain, ce club minable fit des exploits. L’équipe cumula les victoires grâce à ce petit homme qui était à chaque fin de match porté en triomphe par ses camarades serbes.

Avant de redevenir une bête traquée et un juif en sursis, Hilkovec devint une vedette éphémère du ballon rond qui signait des autographes à chaque coin de rue. Le destin semblait vouloir lui donner une nouvelle chance.

En mars 1941, toutes les autorisations furent enfin obtenues pour quitter Šabac. Mais il était trop tard. Quelques jours après, les Nazis occupaient la Serbie centrale et une partie de la région de Voïvodine. Fini les matches de foot et les kermesses de quartier, les amourettes et même les mariages mixtes. A l’emplacement d’une ancienne forteresse, on construisit un camp de transit, Durchgangsläger Šabac, appelé Dulag 183. Les Juifs du Danube y furent internés.

Un jour, les prisonniers hommes furent rassemblés et transférés à pied en Croatie avant d’être fusillés. Parmi eux, il y avait Hilkovec, le champion de foot. D’autres furent exécutés dans le village de Zasavica, à quelques kilomètres seulement de Šabac. Au mois de janvier 1942, les femmes et les enfants furent à leur tour déplacés près de Belgrade, dans un parc d’exposition, Sajmiste Zemun rebaptisé Anhalteläger Semin, de triste mémoire. Le Vel d’Hiv serbe.

Soit les familles furent envoyées à Jasenovac, le camp d’extermination du pays, soit elles furent gazées sur place dans des camions bâchés.
En treize mois, d’avril 1941 à mai 1942, la plupart des 80 000 Juifs recensés en Yougoslavie ont été assassinés de cette façon.

C’est en Serbie que la Solution finale a commencé.

Un seul bateau des réfugiés de Šabac arriva à bon port à Tulcea, en Roumanie. Les familles rescapées embarquèrent sur une épave grecque, le Milos, avant d’arriver à Istanbul, puis Heraklion et Chypre, enfin à Haïfa en Palestine. On s’installa pendant la guerre dans le petit village de Kirjat Haim. Ces familles et leurs descendants vivent aujourd’hui en Israël.

 Aucun membre de la famille d’Hilkovec n’a survécu.




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