Témoigner, c'est déjà agir


Extrait publié
 dans le livre de Georges Bensoussan 
 La France soumise, Albin Michel 
(pages 257-268) 



 dans le dossier du Figaro magazine 
(13 janvier 2017, pages 46-47) 





J’enseigne l’histoire-géographie depuis vingt-cinq ans dont dix-huit dans un lycée de Région 
parisienne, un établissement sans histoire qui jouissait encore il y a peu d’une excellente réputation. […]


Le mardi 2 décembre 2014 a lieu le vote concernant la reconnaissance par l’Assemblée nationale de l’Etat palestinien. 

On frise l’hystérie dans les couloirs du lycée, tout particulièrement devant ma porte de classe. J’entends mes propres élèves hurler 
sous mon nez des « inch Allah », avec une joie démonstrative et quelques youyous. 


Au cours de cette journée éprouvante, une de mes élèves de seconde, déjà âgée de 18 ans, m’interpelle vivement pendant le cours (sur l’Antiquité romaine) pour me sommer de me positionner sur le conflit israélo-palestinien. 

Je lui réponds que ce n’est pas le sujet. Elle insiste et parle d’un peuple « chassé de sa terre », accuse les Israéliens de crimes contre l’humanité et précise qu’« ils se servent de kalachnikov pour tuer les enfants ». 

Pendant de longues minutes, elle garde furieusement la parole, s’agite et se lève, cherche à soulever les autres, ce qu’elle ne parvient pas à faire à l’exception d’un seul, un garçon réputé instable et violent, déjà exclu récemment d’un autre établissement.


Après quelques efforts de discussion, je demande à la jeune fille de sortir, elle s’y refuse et insiste dans des débordements qui me sont 
directement adressés. 

Je demande : « Dois-je comprendre que vous me menacez ? » Elle répond : « Moi, je vous menace, moi je vous menace ? D’accord ! » Elle range ses affaires dans son sac, s’avance furieusement vers moi. Une fois arrivée à ma hauteur, elle crache par terre à mes pieds en me fixant et me dit : « Je vais te faire un kick », entendez « je vais te casser la gueule ».


Libération, 5 avril 2016


Son conseil de discipline a lieu le mardi 6 janvier, veille de l’attentat de Charlie Hebdo. Je note le ton aimable, voire conciliant et compassionnel, du proviseur à l’égard de la jeune fille et de son père. 

Je regrette le ton dur et cassant qu’il m’adresse,ravi à chaque occasion de me rabrouer publiquement. 

Alors qu’on écoute attentivement la jeune fille qui s’explique, on me demande de justifier avec précision l’enchaînement des faits, comme pour y déceler un manquement quelconque de ma part. 

Le CPE qui connaît bien la jeune fille et pourrait témoigner de soncomportement est curieusement absent, remplacé par une autre CPE qui ne connaît rien au dossier. C’est mon procès, en somme.

Parce que « j’en fais trop », que mon comportement est qualifié de « jusqu’au-boutiste », gênant, voire suspect. Parce que j’empêche la liberté d’expression de mes élèves. 

Parce que j’évoque la dérive communautariste et les agressions ad hominem dont je fais l’objet. Parce que je ne peux être victime que de moi-même, le proviseur m’interrompt régulièrement sur un ton peu amène en plein conseil : « Monsieur, vous avez un sentiment, vous avez des impressions, mais personne d’autre que vous ne les 
partage. »


Après une longue délibération, le conseil de discipline décide une « exclusion définitive… 
avec sursis ». Autrement dit, je retrouve cette même élève dès le lendemain matin dans ma classe, comme si rien ne s’était passé.