Le 14
juillet 2017, deux officiers de police israéliens,
Hayil Satawi, 30 ans, et Kamil Shanaan, 22 ans, étaient lâchement
assassinés
par des terroristes palestiniens devant
la porte des Lions à Jérusalem.
Leurs obsèques furent l'occasion de rappeler une fois de plus les
liens indéfectibles d'Israël avec la communauté druze dont étaient issus les deux jeunes gens. Nir
Barkat, le maire de Jérusalem, a rappelé que les deux policiers ont
sacrifié leur vie pour sauver leurs concitoyens. Mais mieux que les
mots, c'est la prière et le recueillement qui exprimèrent toute la
reconnaissance de l’État hébreu pour ses frères d'arme et de
cœur.
Le
18 novembre 2014, Zidan Saïf, 30 ans, policier druze originaire
de Yanouh-Jat en Galilée, était tué à Jérusalem dans des
conditions semblables en défendant les fidèles de la synagogue du
quartier de Har Nof. Son héroïsme avait permis d'éviter un
carnage, malgré un bilan déjà lourd (quatre morts, sept blessés).
A cette triste occasion, Benjamin Netanyahou soulignait déjà la
loyauté et le dévouement du peuple druze.
Youssef
Muadi, 19 ans, et Lutfi Nasereldin, 38 ans, figurent quant à
eux parmi les premiers soldats druzes israéliens tués à Gaza
pendant l’opération ‘’Plomb durci’’ (2008-2009). Malgré
le deuil, leurs parents faisaient dans la presse une magnifique
déclaration d'amour et de patriotisme. « Nous sommes Israéliens.
Israël est notre pays. L’identité druze est une appartenance
individuelle, mais notre identité collective, c’est d’être
Israéliens. » (Wafa, mère de Youssef) ; « Même si
notre langue maternelle est l’arabe, nous sommes partie intégrante
de l’État d’Israël, c’est notre pays, nous devons le
défendre. Il n’y a pas de différence entre nous et les Juifs » (
le père et la veuve de Lutfi, Libération,
3 février 2009 « Druzes en guerre pour Israël »).
Le
lieutenant-colonel druze Safwan, 41 ans, reconnaît que l'armée est
un point d'ancrage essentiel aux yeux de sa famille et de sa culture,
la plus noble manière d'intégrer et de défendre la nation
israélienne. «L'officier a un statut social élevé chez nous, il
inspire le respect et la fierté (…) il est un gage pour notre
sécurité. L'armée [permet] la réussite personnelle (…)
l'espérance de gravir rapidement l'échelle sociale (Slate.fr,
Jacques Benillouche, 10 juillet 2010).
« Une
alliance de sang »
Il
y a environ 900 000 Druzes, principalement installés au sud du
Liban, en Syrie et dans les montagnes du Hawran (djebel Druze) ;
120 000 vivent en Israël, principalement au nord du pays, en
Galilée.
Une
''alliance de sang'' lie les Druzes à Israël depuis 1948.
A
l'époque, les divisions et les guerres civiles dans la région
menaçaient de longue date les minorités nationales et religieuses.
Le druzisme a toujours lutté pour sa survie. Le pacte avec Israël
tient d'abord de cette formidable capacité de résistance.
Le
druzisme est né dans l’Égypte fatimide du XIème siècle puis
s'est répandu dans les montagnes du Chouf au Liban, et en Syrie.
Issu de l’ismaélisme, cette religion contraire à l'orthodoxie
musulmane a toujours été considérée comme une hérésie aussi
bien par les sunnites que par les chiites.
Nullement
prosélyte, l’appartenance au druzisme s’attache à révéler aux
initiés appelés ‘ukkâl
et ‘ajâwîd,
l’interprétation ésotérique de la parole divine. Profondément
mystiques, les Druzes croient dans la réincarnation. Ils se voient
comme le peuple de Dieu par excellence, chargés de faire triompher
un jour la religion unitaire et universelle. Leur livre saint n’est
pas le Coran mais les ‘’ Livres de la Sagesse’’, manuscrit
rédigé par Hamza, un de leurs guides et pères fondateurs.
On
ne devient pas druze, on naît druze. Il est impossible de se
convertir au druzisme, exclusivement transmis par la filiation,
laquelle est facilitée par l’endogamie, la solidarité
communautaire et un fort attachement aux traditions familiales.
Il
n’y a ni rite ni lieu de culte. La prière est un acte personnel,
intime et totalement libre, effectué en tout lieu, et à toute heure
selon les besoins de chacun. La charia est fermement rejetée. Les
piliers de l’islam, dont le pèlerinage à la Mecque, le jeûne ou
l’aumône, ne sont pas respectés. Les fêtes musulmanes ne sont
pas davantage célébrées à l'exception du sacrifice d’Abraham
(Aïd al-Adha appelé aussi Aïd el-Kébir).
Régulièrement
persécutés et pourchassés, les Druzes se sont peu à peu
rapprochés des autres minorités religieuses, plus ouvertes et
tolérantes que l'islam, comme les chrétiens maronites ainsi que, de
toute évidence, les juifs d'Orient. Dirigés par de grandes familles
féodales comme les Maan (1516-1697), les Chéhab (1697-1841) ou
encore les Aslan et les Jumblattî, ils s'opposent en clans rivaux au
19ème
siècle et provoquent des tensions vives conduisant à l’intervention
européenne au Liban.
Leur
goût pour l'indépendance pousse certains d'entre eux à soutenir la
cause nationaliste arabe. En juillet 1925, la « Grande révolte
druze » se heurte violemment, en Syrie et au sud-Liban, aux
autorités mandataires françaises. Mais la plupart de leurs chefs
choisissent le camp qui les aidera à préserver au mieux leur
particularisme, et leur identité.
Dès
1929, le chef druze Shabik Wahab rejoint la Haganah et amorce une
alliance avec le Yichouv ( Inès Gil, « Le dilemme des Druzes
israéliens, minorité arabe et soutien historique à Israël »,
Clés
du Moyen-Orient,
17 mai 2017). En
1948, ce pacte devient, dans le nord de la Palestine, une coopération
militaire proprement dite (opération Hiram). La première unité
militaire druze d’Israël s'appelle alors '' Unité 300''.
Aux
yeux de certains observateurs malintentionnés et autres
antisionistes incurables, l'alliance de sang israélo-druze reste
''un pacte contre nature'' : « Certains Druzes renvoient à des
textes bibliques pour établir une relation d'amitié entre les Juifs
et leurs ancêtres (…) profondeur historique totalement
imaginaire » (Laïla
Parsons et Henry Laurens.
« Les Druzes et la naissance d’Israël », 1948
: la guerre de Palestine,
2002, pp. 8-9).
Les
Druzes, pourtant, sont bel et bien des Arabes sionistes. Ils
seraient, dit-on, plus nationalistes que les Juifs eux-mêmes.
C'est
en 1973 qu'Amal Nasser el-Din, député druze du parti Likoud à la
Knesset de 1977 à 1988, crée pour la première fois le ''Cercle
Sioniste Druze''. Il s'en expliqua alors : « "Nous
croyons dans la Bible des Juifs. Mohammed n'est pas notre prophète.
Nous sommes les descendants de Jethro, le beau-père de Moïse »
(Mordechaï Nisan, Minorities
in the Middle East : A History of Struggle and Self-Expression,
2002, p. 282). Son fils et son petit-fils sont morts dans les rangs
de Tsahal.
«
La communauté
druze est exceptionnelle par son intégrité ethnique, son héritage
religieux et ses liens étroits avec la population juive. (…)
L’identité druze est très proche de l'éthique juive ;
similitude inversement proportionnelle à la distance affichée à
l’égard de l’islam et de la culture musulmane » (Mordechaï
Nisan, « The
Druze in Israel: Questions of Identity, Citizenship, and Patriotism
», The
Middle East Journal,
64-4, automne 2010, pp. 575-596).
Contrairement à de nombreuses minorités nationales (comme les
Kurdes), les Druzes n'ont aucune
aspiration à créer leur propre État. « De même qu'un Druze
syrien est attaché à son pays, moi je suis loyal vis-à-vis
d'Israël » ajoute le
lieutenant-colonel Safwan (Slate.fr,
opus cit.).
Le
cas des Druzes du Golan est quelque peu différent. Quoique.
Les
1154 km² du Golan occidental annexés par Israël en 1967 puis
intégrés à la Galilée en 1981 (District Nord, capitale Nazareth)
abritent actuellement environ 30 000 Israéliens et 22 000
Druzes. Ce territoire est disputé avec la Syrie, mais aussi avec le
Liban (territoire du Chebaa). Bien que profondément attachés à
leur appartenance à la Syrie, les Druzes du Golan n'ont qu'une seule
et unique motivation : défendre leur communauté face à la
situation affreuse qui fait rage à leurs portes depuis 2011. « La
guerre civile a assombri leur perspective d’un avenir en Syrie, et
les pousse aujourd’hui à se tourner de plus en plus vers Israël »
(Clés
du Moyen-Orient,
opus cit.).
Bénéficiant
déjà d'un statut de résidents permanents dans l’État hébreu,
ils
sont de plus en plus nombreux à en demander la nationalité.
Une
intégration exemplaire, mais perfectible
Alors
que les Druzes ne représentent que 2 % de la population
israélienne, beaucoup travaillent dans la défense nationale, la
police et dans l’administration pénitentiaire. Ils jouissent des
mêmes avantages sociaux que tous les autres Israéliens, y compris
l’assurance maladie et les indemnités aux familles pour leurs
enfants tombés en service.
Contrairement
aux autres Arabes israéliens (chrétiens et musulmans), les hommes
druzes sont depuis 1956 soumis, comme leurs compatriotes juifs, au
service militaire obligatoire. En contrepartie, ils ont obtenu en
1963 une autonomie communautaire ratifiée par la Knesset. 10%
seulement d'entre eux n'effectuent pas de service militaire, contre
30% chez les jeunes juifs.
De
1974 à 2015, le ''bataillon Herev'' disposait, dans l'armée
israélienne, d'un statut militaire particulier : il était
presque exclusivement composé de soldats druzes. Aujourd'hui, à la
demande de la communauté nationale druze elle-même, ce bataillon a
intégré le reste de l'armée israélienne (source
Tsahal).
L'intégration
des Druzes dans la nation israélienne est symboliquement exemplaire.
Elle reste toutefois politiquement et socialement limitée.
Il
n'y a que quatre députés druzes (sur 120) à la Knesset (Le
Monde diplomatique,
octobre 2016). Leur représentativité institutionnelle reste faible.
Il
y a tout de même quelques personnalités marquantes de la démocratie
israélienne issues de la communauté druze. En 2001, Salah Tarif fut
le premier ministre non juif de l’histoire du pays ; Ayoub
Kara, député Likoud à la Knesset de 1999 à 2006, fut
vice-ministre du développement du Néguev et de Galilée ;
Majalli Wahabi, ami personnel d'Ariel Sharon, fut député de 2003 à
2013, vice porte-parole de la Knesset et premier président druze
d'Israël par intérim en février 2007 ; Naïm Araidi, décédé
en 2015, fut ambassadeur d’Israël en Norvège de 2012 à 2014 ;
le très charismatique colonel Ghassan Alian est le premier
commandant en chef non juif de la brigade d’infanterie d'élite
Golani. Son épouse est professeure d'Hébreu.
Mais
la mixité sociale et ethno-religieuse s'arrête trop souvent à
l'amitié d'université, ou à l'armée bien sûr. De leur propre
fait, les Druzes restent une communauté fortement rurale, réservée
et discrète, traditionnellement repliée sur elle-même dans les
hauts villages du Mont Carmel. Seulement 1 % des Druzes disent
avoir un époux ou un concubin de religion différente (Pew
research Center,
21 mars 2016).
Un
article de témoignages publié par Andrew Friedman dans le Jerusalem
Post
(11
février 2015) a révélé d'autre part un certain sentiment
d’inégalité et d'injustice chez les Druzes d'Israël qui pensent
que « des écarts perdurent ». Pour
Rabeea Halabi, 41 ans, commerçant druze dans la petite ville de
Daliat el Karmel (13 000 habitants) située au sud-est de Haïfa,
« les règles qui s’appliquent aux Juifs ne s’appliquent
pas à nous (…) nos villes de Galilée sont moins développées
économiquement » .
Le
manque d'aide gouvernementale serait à l'origine des faibles
infrastructures urbaines des villes druzes du nord (manque
d'électricité, absence de trottoirs, discrimination à l'embauche,
chômage). Une petite minorité de jeunes refuserait même désormais
de faire le service militaire. « Les contestations contre les
démolitions de maisons (construites sans permis gouvernemental très
difficile à obtenir) s’organisent depuis le début de l’année
2017 » (Clés
du Moyen-Orient,
opus cit.).
Les
efforts gouvernementaux se sont multipliés ces dernières années
par des lois et des mesures diverses (dans l’éducation et le
logement par exemple) en 1978, 1987, 1994 et 2008. Force est de
constater que ces efforts, réels mais semble-t-il insuffisants,
demeurent variablement efficaces pour limiter et réduire ce
sentiment d' inégalité. Parfois d'ailleurs, des manifestations
druzes rappellent qu'ils ne faut pas prendre ce sentiment à la
légère. Sans oublier, non plus, de le nuancer. Car les
manifestations druzes ne sont ni nouvelles, ni généralisées. Elles
restent locales et ponctuelles, sans prétendre révéler un malaise
profond.
Nous
sommes très démocrates et pacifiques, souligne en substance le
lieutenant-colonel Safwan et nous avons appris à défendre nos
intérêts catégoriels. Mais ces manifestations n'entachent en rien
le chemin parcouru sur une terre, et avec un État jeune et plein de
promesses, que nous continuons d'aimer et de servir (Slate.fr,
opus cit.).
« Dans
les années 1960, raconte Safwan, les Druzes étaient essentiellement
des agriculteurs et à 5% des militaires. Aujourd'hui, 30%
travaillent dans la défense nationale, 30% dans les professions
libérales et le reste dans les services et l'agriculture ». A
la question suivante : Quelle
profession souhaitez-vous pour votre fils ? Safwan répond :
« Son
rêve, et le mien bien sûr, serait de le voir devenir pilote de
chasse à l'armée, l'élite de l'élite. Il étudie actuellement à
Haïfa comme tous les jeunes, mais je suis convaincu qu'il reviendra
vivre près de nous. Il est important que vous compreniez notre
mentalité ».
Certains
observateurs affirment (ou espèrent) que le pacte de sang
israélo-druze est menacé. Vraiment ? Les dramatiques
événements de juillet dernier à Jérusalem montrent qu'il n'en est
rien. On peut rester attaché à ses racines, et à sa communauté,
et vivre dans un pays qui, malgré les épreuves, sera toujours le
vôtre.
Jean-Paul
Fhima