Le 18 mars 2015, des
images d’Hitler et de croix gammées ornaient les bâtiments du campus de l’UCT, l’université
de Cape Town en Afrique du Sud. Ces affiches, rapidement retirées, n’étaient
accompagnées d’aucun slogan ni revendication explicite. On était loin toutefois
de la manifestation improvisée et de mauvais goût, proche de l’humour potache des bizuts.
Il s’agissait,
semble-t-il, d’une opération de représailles organisée par le conseil représentatif
des étudiants de l’université contre la présence de la statue en bronze du
britannique Cecil John Rhodes (1853-1902) qui orne
l’entrée de l’université. Rhodes est un ancien magnat
des mines, sixième Premier ministre de la colonie du Cap. Considéré aujourd’hui
comme l’un des pires symboles de la domination blanche et de l’impérialisme, il
est détesté par la jeunesse sud-africaine qui voit en lui un homme « aussi
méchant qu’Hitler » (Avi Lewis, Times of Israël, 20 mars 2015).
La statue de Cecil John Rhodes devant l’université du Cap, œuvre en bronze de Marion Walgate (1934) |
Une prise d’otage
pour se venger de l’histoire ?
Les
auteurs ont refusé de s’excuser et ont même annoncé, bravaches, des opérations
du même type alors même que l’Union des
Etudiants Juifs d’Afrique du Sud (UEJAS) a immédiatement réclamé des sanctions
disciplinaires.
Les
étudiants juifs du campus se considèrent en effet concernés au premier chef par
cette action qui, selon l’UEJAS, aurait pour but de faire comprendre aux juifs
… « la lutte de l’enfant noir. » C'est-à-dire ?
Quel rapport peut-il bien exister entre le passé colonial et raciste de ce pays
et la présence des étudiants juifs dans cette université ?
La protestation politique des étudiants, explique l’UEJAS, prend de plus en
plus en otage les juifs rendus collectivement coupables par leurs condisciples d’une
nouvelle forme de colonialisme et de ségrégation contre les Arabes. Ainsi, il y
aurait dans l’esprit de nombreux jeunes du pays, une identification de la cause
noire à la cause palestinienne. Sous couvert de militantisme antiraciste, une
campagne agressive prendrait donc forme au sein même des campus où se
multiplient de façon inquiétante les provocations anti-israéliennes et anti-juives,
surtout depuis la guerre de Gaza en été 2014.
L’opération des affiches d’Hitler du
18 mars dernier à Cape Town University effectuerait, toujours d’après l’UEJAS, un
odieux parallèle entre nazisme et sionisme à des fins d’intimidation et de
stigmatisation à l’égard des juifs.
Déjà en octobre 2014, le conseil représentatif des organisations étudiantes
de la même université appelait à l’exclusion de l’ambassadeur d’Israël et à
faire adopter, au sein même du campus, les mesures BDS (Boycott
Désinvestissement Sanction), demande heureusement rejetée par l’administration
de l’université (South African Jewish Report, 14 octobre 2014).
Dans une autre
université du pays, le DUT (Durban University of Technology), la même
instance du Conseil étudiant a très sérieusement réclamé l’expulsion sans
distinction de « tous les
étudiants juifs » (Daily
News, 11 février 2015).
Cette réclamation
inique faisait suite à la visite au DUT de Leila Khaled (71 ans), actuellement
membre du Conseil national palestinien. Cette visite
politique de cinq jours était
organisée par le
BDS-South
Africa, officiellement dans le cadre d’une levée de fonds pour la cause palestinienne. En
réalité, Leila Khaled est venue militer pour l’isolement international d’Israël. Son
passage au DUT a créé de vives polémiques et de nombreux remous qui ont divisé
les étudiants.
Leïla Khaled
a appartenu au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).
Co-responsable de plusieurs attentats dans les années 1960, elle incarne par
son passé le choix des actions violentes et du terrorisme. Le 29 août 1969,
elle est la première femme à détourner un avion, le vol TWA 840 Los Angeles-Tel
Aviv. Le 6 septembre 1970, elle tente de détourner le vol El Al 219
Amsterdam-New-York. Maitrisée par les passagers alors qu’elle cherche à
dégoupiller une grenade qui n’explose pas, elle est débarquée et arrêtée à
Londres Heathrow.
Dans un entretien accordé à Janet Smith, dans
le journal The Star, Leila Khaled
rejette toute légitimité juive en Palestine : « Les Palestiniens ont été remplacés par des gens qui
ne possédaient pas ce pays, n’avaient
jamais eu avec lui aucun lien. » Pour autant, l’ « icône de la résistance palestinienne » assure
vouloir lutter contre les Israéliens mais pas contre les Juifs alors qu’elle ne
cesse dans ses diverses déclarations de faire systématiquement l’amalgame.
Madame Khaled se dit d’autre part ‘’toujours marxiste’’, admiratrice du régime
de Fidel Castro et de Hugo Chavez qui, selon elle, « avait à cœur l’esprit
de la dignité » (The Star ,6
février 2015).
Leila Khaled au DUT, février 2015. |
Leila Khaled est venue en Afrique du Sud souffler
sur des braises déjà brûlantes d’une judéophobie militante et populaire. Elle remporte
sans mal les suffrages de ses jeunes admirateurs séduits par son ‘’modèle révolutionnaire’’.
A la suite
de cette rencontre et « après avoir analysé la politique
internationale », Mqondisi Duma, secrétaire du Conseil des étudiants du
DUT, a déclaré unilatéralement sans consulter l’administration de son
établissement universitaire : « nous avons décidé que les étudiants juifs,
tout particulièrement ceux qui ne soutiennent pas la lutte palestinienne,
devraient se désinscrire. »
La
demande a évidemment été refusée par la direction de l’université qui a
qualifié cette requête de « ridicule,
injuste, déraisonnable et anticonstitutionnelle »,
assimilable à de la haine raciale contraire aux valeurs de « notre nation
arc-en-ciel » (Ahmed Bawa, vice-président de l'université de Durban).
Alana
Baranov, vice-présidente du Conseil de la communauté juive de la province du
Kwazulu-Natal (où se trouve la ville de Durban), a qualifié cette démarche d’ « ouvertement antisémite. » Le
Conseil des étudiants s'est défendu en affirmant qu'il ne visait que les
étudiants « sionistes et tous
ceux qui soutiennent le gouvernement israélien. » On appréciera la
nuance !
Ils devraient, a répondu Alana Baranov, s'inscrire à la fac de Dartmouth
(aux Etats-Unis) où, depuis les émeutes de Ferguson, ont été organisés des
cours contre le racisme (Meltycampus,
9 février
2015).
Une
façon simple et efficace de renvoyer dos à dos tous les racismes. Car ces
étudiants motivés par un engagement politique captieux ont-ils conscience que,
sous prétexte de défendre la cause palestinienne, ils revendiquent une insupportable
discrimination et une nouvelle forme d’exclusion ?
Mais
faut-il vraiment leur en vouloir ? Ne sont-ils pas eux-mêmes manipulés par
une active propagande antisémite effectuée depuis de nombreuses années par leur
propre gouvernement ? L’Afrique du Sud ne serait-elle pas en train, sinon
d’organiser, du moins de laisser faire un véritable racisme d’Etat à l’égard
des juifs de leur pays, laissant la porte ouverte à tous les débordements ineptes
qui risquent de se généraliser et de s’aggraver ?
L’esprit de Durban :
nouvelle judéophobie mondiale,
idéologique et
radicale.
A la
conférence mondiale de Durban (2001), le sionisme a été assimilé au racisme et
Israël déclaré « Etat d’apartheid coupable d’une épuration ethnique et d’un
crime contre l’humanité. »
Ce discours accablant contre Israël a été largement répandu par les soins
de John Dugard,
rapporteur spécial sud-africain à l’ONU de 2000 à 2006.
Prétextant une simple position
politique, « l’esprit de Durban » qui a fait suite à la Conférence
mondiale contre le racisme, a légitimé et diffusé symboliquement un nouvel antisémitisme
sans concession ni limite, sans nuances ni frontières. Tout citoyen israélien
puis tout juif en général, quelle que soit son origine ou sa nationalité, a peu
à peu été assimilé au mal absolu dans le sillage des soubresauts du conflit
israélo-palestinien.
« Né au confluent des luttes
anticoloniales, antimondialistes, antiracistes, tiers-mondistes et écologistes
» (Rapport Ruffin, 2004), cet antisionisme est né d’une représentation
caricaturale du monde opposant libéralisme oppresseur (Israël) au Tiers-Monde
innocent (les Palestiniens). Empreint
d’un extraordinaire archaïsme brutal et simpliste, cet antisionisme a ensuite été
massivement relayé par une jeunesse en quête d’un engagement fort et
socialement noble.
En Afrique du Sud, ce militantisme
au front bas ne s’est pas seulement contenté de critiquer le gouvernement
israélien, mais s’est bel et bien déterminé dans un rejet global d’un Etat
juif, dans ses fondements comme dans son existence. Puis dans une mise au ban plus ou moins
assumée du peuple juif dans son entier.
Le
gouvernement sud-africain, qui a prêté serment de « solidarité éternelle avec
le peuple de Palestine », soutient avec force cette position. Gwede Mantashe,
dirigeant de l’ANC (le parti historique de Mandela) et ancien président du
parti communiste sud-africain, a co-signé une déclaration qui prétend vouloir «
isoler l’Etat juif criminel. (…)
Nous intensifions notre campagne, a-t-il affirmé, visant à boycotter et à
isoler Israël comme un Etat fondé sur la base de l’apartheid, qui, selon le
droit international et plusieurs conventions de l’ONU, est un crime contre
l’humanité » (Times
of Israël, 14 septembre 2014).
Le
gouvernement sud-africain a officiellement comparé les agissements des
autorités israéliennes dans les territoires palestiniens occupés à ceux de la
minorité blanche à l’époque de l’apartheid. Un communiqué diffusé à Pretoria
qualifiait en 2009 la décision israélienne d’autoriser la construction de neuf
cents logements dans le quartier de Gilo à Jérusalem, de
« condamnable » et similaire aux « déplacements forcés de
population à l’époque de l’apartheid » (Jeune
Afrique, 30 novembre 2009).
Cette analogie n’est pas nouvelle.
Elle s’est progressivement installée dans l’esprit même des responsables gouvernementaux
d’Afrique du Sud depuis 1994 (arrivée au pouvoir de Nelson Mandela), avant
d’être ‘’artificiellement démontrée’’ par une active propagande médiatique plus
récemment.
Cette
propagande consiste principalement à établir des liens coupables qui auraient
existé entre Israël et l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid alors qu’un embargo
international pesait sur ce pays. Un accord secret militaro-stratégique aurait
ainsi été conclu en 1975, selon le quotidien britannique Guardian
(24 mai 2010). Cet accord concernerait la livraison par l’Etat hébreu à
Pretoria, de missiles balistiques de longue portée à tête d’ogive nucléaire.
Information
démentie par l’ex-président israélien Shimon Pérès qui a nié toute négociation
de ce type, et regrette une volonté de nuire à l’image d’Israël (Jeune Afrique,
25
mai et 2
juin 2010).
Israël
reconnait seulement avoir vendu à l’armée de l’air sud-africaine 60 avions de
combat Kfir, copies du Mirage équipées d’un moteur français, mais dans le cadre
exclusif et tout à fait officiel d’une coopération trinationale entre Pretoria,
Paris et Tel Aviv.
En 1987,
Israël a rejoint le boycott international contre l’Afrique du Sud (
Israël Valley, 13 décembre 2013).
Le débat accusant Israël de « complicité d’apartheid » et
d’être à son tour un régime d’apartheid « a toujours existé ici, depuis
longtemps » confirmait en 2011 ‘’l’ambassadeur’’ palestinien en Afrique du
Sud, Ali Halimeh (AFP).
Benjamin
Pogrund, 81 ans, journaliste sud-africain autrefois virulent militant
anti-apartheid, vit à Jérusalem. On ne peut, dit-il, comparer Israël à un Etat
d’apartheid, c’est trop simpliste, facile et exagéré, et cela établit « un
parallèle inexact entre deux situations fondamentalement différentes. » Il
reconnait que cette « accusation est mortelle » et déforme la réalité
au lieu de la servir (Daily
Beast, 17 juillet 2014).
« On
peut critiquer la politique d’Israël, sans en venir à ces accusations
mensongères. L’Etat juif, démocratie où tous les citoyens votent sans
distinction de race ou d’appartenance religieuse, ne pratique pas le racisme et
la ségrégation » – même s’il y a bien une discrimination envers les
populations arabes, pense-t-il (Times
of Israël, 3 janvier 2015).
Cette campagne de calomnie
anti-israélienne a été de longue date confortée par Desmond Tutu, prix Nobel de
la paix.
Figure hautement
emblématique en Afrique du Sud, le célèbre archevêque anglican du Cap est un farouche
défenseur du
Hamas et partisan d’un boycott massif contre l’Etat juif (Haaretz, 14 août 2014). L’embargo sur le commerce et donc
sur l’ensemble de l’économie israélienne, a-t-il défendu, est la meilleure
façon « sans effusion de sang », de lutter contre un « régime
injuste » et de revenir à une « normalité » à l’égard des
Palestiniens (Slate, 21 août 2014).
Le président Jacob Zuma en personne
a défendu en 2011 la création unilatérale d’un Etat palestinien à l’ONU contre
l’avis de la France et des Etats-Unis, partisans de statut d’Etat observateur. Dans un discours à Haïfa, Sisa Ngombane, ambassadeur sud-africain à Tel
Aviv, a considéré que le Hamas est « un mouvement de libération nationale » et
un «protecteur des Gazaouis qui souhaitent une vie meilleure » (South
African Jewish Report, 31 mai 2014).
Le conflit
de Gaza au cours de l’été 2014 a généralisé et intensifié le mouvement de
boycott contre Israël et contre la présence juive en Afrique du Sud où chaque
année est commémorée la semaine de l’apartheid (10-16 mars 2014), démonstration
d’agressivité antijuive, au point de faire dire à Avigdor Liberman, ministre
israélien des Affaires étrangères, que les Juifs du pays seraient potentiellement
en danger de « pogrom imminent » (i24news, 4 novembre 2013).
C’est ainsi, dans ce climat délétère
qui n’est ni occasionnel, ni restreint à quelques franges marginales de la
société, que la jeunesse étudiante sud-africaine n’hésite plus à identifier le
sionisme au nazisme, autrement dit à un système de répression totalitaire et
inhumain, indéfendable et objectivement voué à disparaître.
Cette « mécanique redoutable
facilite le passage à une violence débridée et légitimée » (rapport Ruffin,
2004). Incroyablement, le discours antiraciste a donné naissance à un autre
racisme d’autant plus révoltant qu’on y généralise confusément tous les combats,
sans distinction ni discernement.
Nous ne connaissons que trop bien
cette mécanique redoutable en Europe. Elle porte macabrement ses fruits depuis déjà
de longues années.
Jean-Paul Fhima
Tribune juive