L'islamisme à l'école (2)

Comment doit réagir l’école face à la poussée de l’islamisme ?

Ces jeunes filles portent, au sein même de leur établissement scolaire, le bandeau islamique, non pas simple serre tête mais tissu large sur le crâne (succédané de voile) et arborent une longue robe ou tunique évasée noire ou grise (entre djellaba et abaya) trainant jusqu’aux pieds. Souvent, elles préfèrent la tenue sévère et droite, serrée au cou et aux manches, ou bien la tunique-papillon, couverte de drapés cousus et recousus. Par-dessus, elles portent un gilet plus large, au cas où le reste du vêtement ne suffirait pas à camoufler leurs formes.




Une école pour tous ou par tous
Une école pour tous ou par tous ?



Au lycée Newton à Clichy-la-Garenne (92), une vingtaine d’entre elles entre ainsi sans être inquiétée, se rassemble dans la cour de récréation, s’installe dans les salles de classe pour suivre les cours, parfois (souvent même) s’assoie aux premiers rangs, sous la barbe des professeurs qui font semblant de ne rien voir. 

Le chef d’établissement n’intervient nullement, sauf si un enseignant prend l’initiative (rarissime et courageuse) de refuser le port de bandeau islamique dans ses cours. Alors seulement un compromis est établi invitant l’élève en question à retirer son bandeau dans le cours de ce professeur, tout en étant libre de le remettre dans les couloirs et dans les autres cours. Ineptie qui, au lieu de régler le problème, le complique davantage. Le professeur en question ainsi distingué par la seule préoccupation de faire respecter la loi risque des représailles dont sa hiérarchie clairement se lave les mains.
Nicolas Cadène, rapporteur général à l’Observatoire national de la laïcité, me disait récemment au téléphone que, en ce qui concerne l’application de l’interdiction de signes religieux dans les établissements scolaires publics, il faut, bien sûr, faire des rappels à la loi, mais seulement en dernier recours. Car, m’a-t-il soutenu avec un art prononcé de la langue de bois, « nous marchons sur des œufs, vous comprenez », les signes ostentatoires ou les qualifications de « prosélytisme religieux actif » dans les collèges et les lycées, « ça ne veut plus rien dire … il faut oublier ! »

Les tenues et « accessoires » de ces jeunes filles ne seraient pas forcément un signe distinctif de leur appartenance à la religion musulmane, me dit-on encore, mais la manifestation inoffensive d’une sorte de mimétisme identitaire. 


« Il s’agit de respecter la liberté de ces jeunes filles en pleine construction de leur personnalité, tout en veillant à ce que leur comportement reste acceptable (…) Vraiment délicat, m’assure-t-on, de distinguer chez ces adolescentes ce qui relève de leurs croyance religieuse et ce qui n’est que la manifestation visible des questionnements naturels de leur âge. Il serait vain de faire preuve de rigidité dans l’application formelle de la loi me dit-on encore (…) ce qui pourrait passer pour une forme de stigmatisation et de conservatisme mal placé. Ainsi donc, il conviendrait dans un souci de dialogue avec les familles, de ne pas « s’acharner à vouloir à tout prix faire respecter la loi (…) car le but est bien entendu d’aboutir à une sorte de contrat ou de compromis entre l’institution et les intéressés. » 



L’école, me soutient encore monsieur Cadène, est dans l’obligation de recevoir (tous) les élèves sinon, « elle prendrait le risque de s’attirer les foudres de l’Union européenne ou d’organisations de défense des droits de l’homme. »

Magnifique pépite de la french touch de la part d’un organisme d’Etat attaché au cabinet du premier ministre, dont le dernier bilan (2013) affirme que la laïcité se porte bien dans notre beau pays de la tolérance et de la compromission. J’entends : « Il faut vivre avec son temps ». Je réponds « lequel, monsieur Cadène, le mien ou le vôtre ? », car manifestement nous n’habitons pas sur la même planète. J’abrège la conversation, écœuré.



« Nous marchons sur des œufs, vous comprenez,
le « prosélytisme religieux actif (…)
ça ne veut plus rien dire … il faut oublier ! »



Sanctuariser l’école permettait jusqu’à aujourd’hui de soustraire les élèves aux sollicitations du dehors pour se consacrer « à la seule transmission du savoir, dans un lien continu entre traditions et progrès, passé et avenir, (…) à l’abri du respect et des rituels qu’on a su y installer.» (Michel Hospital, Le monde, 1er mars 2010). « Le sacré (sens du mot sanctuaire) ne peut pas être abandonné aux religions » (Régis Debray).

« Notre école n’a plus rien d’un sanctuaire (…) On voit y pénétrer les violences et les drames de l’extérieur » confie Natacha Polony, ancien prof de lettres (Le Figaro, 12 juillet 2014). Devenue symptôme d’une République qui n’a plus confiance en elle-même, elle serait une des failles de « ce pays qu’on abat » (Editions Plon, juin 2014).

Le drame de notre société, nous dit la chroniqueuse et essayiste, est que nous n’avons plus de système de pensée cohérent et homogène. Le culte de la différence nous a conduit à la fracture, à l’opposition accrue entre les jeunes intégrés et les autres, à la blessure collective d’un pays qui n’a plus de projet commun, ni de récit national à incarner et à transmettre. Si l’école renonce à inculquer la défense de la nation, elle abandonne l’ambition d’un projet collectif. « L’intégration est le devoir des adultes à l’égard de l’ensemble de la jeunesse » (Le Figaro, 13 juin 2014).

Or, l’école désormais cède le pas aux communautarismes et au prosélytisme religieux. Le maître mot d’intégration est proscrit, écarté, honni.



La République n’est plus une et indivisible, mais multiple et divisible.
Fatalité sociale ou volontarisme politique ?



A l’Assemblée, le mercredi 27 mars 2013, Alain Benisti (député UMP) évoque la multiplication des provocations « un peu partout sur le territoire » de la part de « jeunes filles manipulées par des associations dogmatiques ». Une atteinte grave est portée à la laïcité, insiste-t-il, et il y a obligation pour la République ainsi bafouée de trouver une réponse adaptée et forte. Parlant d’une urgence à agir, il regrette l’existence d’une « guerre larvée imposée par les idéologues qui, sous prétexte de lutter contre l’islamophobie, tentent d’imposer dans notre société des valeurs que nous refusons et qui heurtent nos institutions et l’opinion. » Dans une réponse tout en nuance adroite mais aussi suspecte, le ministre de l’Education nationale alors en exercice, Vincent Peillon, assure que « nous ne sommes pas désarmés face à ces situations mais (…) nous pouvons trouver la bonne formule juridique [car] quand on se bat pour la morale laïque nous pouvons convaincre, et c’est toujours un échec d’en arriver à exclure une jeune fille. »
Magnifique démonstration d’impuissance, car ces politiques aux langues bien pendues mais aux mains dans les poches, savent bien qu’ils n’ont plus les moyens de leur ambition.




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Laïcité : principe de la relativité ?



Christophe Cornevin (grand reporter, auteur de ‘’Les Indics’’, Flammarion, octobre 2011) souligne que « le communautarisme musulman défie l’école [sous] une forme de repli identitaire qui se fait jour à travers un certain nombre de pratiques comme le port du voile dans la cour, la demande de repas halal à la cantine, les prières clandestines dans les gymnases ou les couloirs » (Le Figaro, 10 avril 2014). 

L’article se fonde sur une note confidentielle (d’une quinzaine de pages, en date du 28 novembre 2013) émanant des services de renseignements. Soixante-dix exemples précis appelés « initiatives isolées » provenant de toute la France y seraient exposés. Le but affiché serait de déstabiliser les personnels éducatifs et de mener une « guerre d’usure » nous dit-on, laquelle guerre aurait commencé il y a déjà longtemps avec l’implication quasi officielle des fêtes musulmanes dans le calendrier scolaire.
L’Aïd-el-Kebir provoque par exemple la désertion des classes et se répercute dans le suivi des cours, la gestion de la classe par les enseignants, les reports obligés des contrôles de connaissances et des activités périscolaires. Cette intrusion du religieux à l’école a ébranlé ‘’l’air de rien’’ les fondements mêmes sur lesquels cette école repose. « Le rapport révèle des taux d’absentéisme frisant les 90% dans des quartiers sensibles de Nîmes, Toulouse ou Marseille. »

La philosophe et spécialiste de la laïcité Catherine Kintzler considère que «ce n’est pas en se taisant sur les revendications communautaristes que la République finira par gagner.»

Dans le dernier numéro de la revue Esprit (« Quelle pédagogie de la laïcité à l’école ? Octobre 2014), Abdennour Bidar (co-auteur de la Charte de la laïcité) mentionne la perte du sens dans l’institution scolaire, l’importance de la formation et de la concertation des personnels enseignants, le poids considérable de la transmission aux élèves des valeurs de la République. Et, chose fondamentale, l’explication de ces valeurs aux parents qui souvent les ignorent.
 
Ainsi donc, l’école ne devrait plus se contenter d’éduquer les enfants. Elle devrait prendre en charge la formation citoyenne de leurs parents. Sera-ce suffisant ? On sait que nombre de jeunes se radicalisent seuls, indépendamment de leur héritage familial aux antipodes des attitudes provocatrices dont ils se rendent coupables. Éduquer les parents reviendrait à reconnaitre une autorité et une influence que souvent ils n’exercent plus dans leur propre foyer, démunis face à l’autonomie grandissante et précoce de leurs enfants.
Les profs connaissent eux-mêmes une crise et un désarroi sans précédent (Libération, 10 Octobre 2013). 

Ils ne semblent plus croire à ce modèle qu’ils sont pourtant censés incarner et défendre. De plus en plus jeunes et féminisés, ils restent toujours aussi engagés dans leur métier mais moins dans leur profession (Bertrand Geay, sociologue). Peu syndiqués et moins militants, plus individualistes et isolés, ils prennent leurs distances avec le système éducatif dans lequel ils ne se reconnaissent pas. Un certain pessimisme prend le dessus. Lutter contre des changements que l’on ne maitrise plus serait à leurs yeux du Don quichottisme.
Quand on se bat pour l’intégrité de son école, autant dire pour ses propres valeurs et son avenir, pense-t-on vraiment être vaincu d’avance au point de guerroyer en vain contre des moulins à vent ?


Jean-Paul Fhima