Le dialogue est un art qui se cultive.
Il donne envie d’aller au théâtre,
au concert, et de partir en voyage.
Sans vouloir tomber dans l’angélisme béat, il faut bien reconnaître que
souvent, l’envie de sortir des sentiers battus nous emporte plus vite et
plus loin que les petits pas de la politique.
Hanokh Levin,
émissaire du dialogue israélo-arabe.
Pour le dramaturge israélien, Hanokh Levin, disparu à 56 ans en 1999, écrire pour le théâtre est une façon d’exorciser les conflits et de désamorcer les rancœurs entre bons vieux ennemis. L’humour grinçant est son ‘’arme’’ favorite.Hanokh Levin est né en 1943 dans une famille d’origine polonaise installée en Palestine mandataire dès 1935.
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Hanokh Levin |
Etudiant en philosophie et en littérature hébraïque à l’université de
Tel Aviv, il connait ses premiers succès dès la fin des années 1960.
Mais il faut attendre les années 2000 pour découvrir en France, après sa
mort, l’œuvre variée de cet écrivain prolifique traduit avec bonheur
par Laurence Sendrowicz.
Hanokh Levin a donc grandi en même temps que l’Etat d’Israël s’est
construit et que le conflit au Proche-Orient s’est installé dans la
société israélienne. « Ce qui m’a profondément marqué dans mon œuvre
comme dans ma chair » avouait-il.
Particulièrement révolté par l’antisémitisme mais tout aussi opposé à
l’occupation durable des territoires conquis, et déboussolé par
l’exacerbation des violences comme par la division des populations
locales, il se fait le critique virulent des choix politiques de son
pays dont il regrette la réalité bancale et le jusqu’au-boutisme.
Il écrit principalement pour le théâtre des satires au vitriol comme
« Toi, moi et la prochaine guerre », peu de temps après la guerre des
Six jours. Ses prises de position parfois ouvertement injurieuses et son
audacieuse liberté de ton, notamment à l’égard de l’armée ou de la
religion, provoquent régulièrement indignations et appels à la censure,
jusqu’à être débattus à la Knesset.
Le théâtre de Hanokh Levin fait œuvre indispensable d’introspection
critique. Distanciée de la réalité, mais jamais trop loin d’elle, chaque
pièce engage à observer ses propres faiblesses, sans méchanceté mais
sans concession.
A chaque fois se déroule une même logique narrative d’un grotesque
implacable. L’histoire nait d’abord d’un détail insignifiant pour
s’achever par une véritable catastrophe. Répliques corrosives et
noirceur risible fleurtent en permanence avec un burlesque enfantin mais
cruel où est soulignée l’incompréhension réciproque des personnages
emportés par une mécanique infernale. Le rire exutoire, poussé à
l’extrême, défoule et apaise.
Dans Popper, écrit en 1976, l’humour décalé côtoie le cynisme
ravageur. Par un savant cocktail de révolte et d’absurde, cette petite
pièce corrosive devient une critique de la haine gratuite.
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Théâtre Pixel, Paris 18ème, mars-avril 2014. |
Parce qu’il est toujours là où il ne faut pas, le gentil mais naïf Popper est rejeté par un couple d’amis qui souhaite sa mort. Malgré ses efforts pour échapper à son destin et être heureux, Popper tombe malade sans raison et agonise longuement, ou plutôt se laisse mourir pour convenir au rôle tragique qu’on lui fait porter. Son monologue de fin, directement adressé au public qu’il prend à témoin, souligne avec sarcasme la morale de son histoire :
« Vous souffrez de constipation ? Offrez-vous Popper. L’ennui vous
gagne ? Tirez sur Popper. Vous ressentez un manque que vous n’arrivez
pas à combler ? Vous le comblerez en mettant Popper dans le trou ».
Autrement dit : « vous voulez passez vos nerfs, venez taper sur un
juif au théâtre, ça vous évitera de le faire ailleurs ! » Mais chez
Levin, l’ambiguïté du propos révèle toujours un sens caché qui en dit
long : laisser aux autres le soin de vous haïr est une façon d’accepter
la souffrance. Et de leur donner raison !
Le Talmud pense comme Levin.
Si le théâtre est jugé « idolâtre, magicien et moqueur » (Sonia-Sarah
Lipsyk, centre Aleph, Montréal), il a néanmoins une irremplaçable
fonction cathartique qui libère les pulsions, exorcise et désamorce les
querelles. Mieux vaut mimer la guerre que de la faire, comme il est
préférable de montrer la violence et la mort (pour de faux) plutôt que
les voir (pour de vrai).
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