Tout un symbole ! L’école maternelle
joliment appelée Le Paradis a été partiellement incendiée lundi 20
octobre 2014 par une voiture bélier à Corbeil-Essonnes (Francetv.info).
Pas de blessés mais le bâtiment est endommagé. Il s’agit de la troisième
tentative de ce genre en quinze jours. Dans la nuit du 5 au 6 octobre,
une autre école neuve et une médiathèque subissaient le même sort aux
Tarterêts, quartier sensible. Le mode opératoire est similaire et laisse
entendre que les auteurs de ces actes odieux sont probablement les
mêmes.
Ce n’est pas la première fois que les écoles sont visées par des
attentats de ce type dans les banlieues françaises. Violence gratuite ou
action préméditée ? Au-delà du bâtiment attaqué, c’est l’institution
elle-même qui est ciblée ainsi que les valeurs qu’elle représente : la
culture, l’émancipation, la tolérance, la laïcité.
Les faits divers ne manquent pas. Conflits et drames se succèdent entre
professeurs et élèves, entre parents et professeurs. La brutalité
s’installe, le rapport de forces n’est jamais loin, et la sérénité
indispensable à l’étude semble bien compromise. Tensions, désordres,
provocations, contestent chaque jour les règlements intérieurs des
établissements.
Que se passe-t-il dans nos collèges et nos lycées ?
Pourquoi persiste-t-on à ignorer l’importance des dérives
ou à contourner les problèmes au lieu de les affronter ?
Le 4 juillet dernier, une institutrice
de 34 ans, Fabienne Terral-Calmès, était poignardée à mort à Albi,
devant ses élèves de maternelle, parce qu’elle avait « mal parlé à ma
fille » a dit Rachida, la maman meurtrière âgée de 47 ans, hospitalisée
en soins psychiatriques pour « délire de persécution ». L’institutrice a
été décorée de la légion d’honneur à titre posthume, et « ses enfants
deviendront pupilles de la nation » a-t-on annoncé « pour service rendu
au pays. » Ainsi donc, les profs seraient des soldats sur le front d’une
guerre qui ne dit pas son nom. « Morte au champ d’honneur » aurait-on
pu dire.
Il y a une guerre sans nom que personne ne veut voir, et que personne ne veut faire.
Il y a urgence pourtant.
Georges Fotinos, chercheur à
l’Observatoire de la violence à l’école, a publié le 29 avril 2014 une
étude sur les relations parents-enseignants menée auprès de 3 600
directeurs d’école élémentaire et de maternelle. On y constate que les
agressions physiques et verbales contre les professeurs des écoles sont
de plus en plus fréquentes. Le caractère certes exceptionnel que revêt
l’assassinat de Fabienne Terral n’en demeure pas moins, dit-il,
révélateur d’un contexte alarmant (L’Express, 4 juillet 2014).
Chaque jour les mots, les gestes, ou les
intentions, égratignent cette école de la République qui ne semble plus
trouver les réponses adaptées aux sollicitations nombreuses qui
l’assaillent. Sommée de faire face à toutes nos difficultés
contemporaines, cette école d’aujourd’hui faiblit dans sa mission de
service public, elle déçoit dans sa finalité même.
Parce qu’elle reproduirait l’injustice au lieu de la faire oublier,
parce qu’elle renoncerait à former des citoyens et à les préparer à la
vie active, « l’école se montre telle qu’elle est » nous disent les
observateurs mi-indignés mi-fatalistes. Ni forteresse, ni sanctuaire,
elle serait donc livrée à une forme de fatalité, économique pour les uns
car elle conforterait plus que jamais l’inégalité et les privilèges ;
fatalité sociale pour les autres car elle ne ferait que reproduire la
diversité ethnique et culturelle de la population.
Fini le rôle de creuset intégrateur à la Nation française. Fini l’ambition d’acculturation et d’assimilation à la communauté nationale. Ces mots fâchent. Pire, on les trouve suspects.
Fini le rôle de creuset intégrateur à la Nation française. Fini l’ambition d’acculturation et d’assimilation à la communauté nationale. Ces mots fâchent. Pire, on les trouve suspects.
La laïcité, socle fondamental de cette école de la République, qui est
aussi notre art de vivre et de penser, serait mise à mal par la
diversité et de la différence.
François Dubet, sociologue, explique que
la diversification est devenue la règle d’or pédagogique » (Libération,
16 février 2000). La vie scolaire ne peut plus être aussi « paisible et
abritée (…) préservée de la brutalité des conflits sociaux ». L’école
républicaine nous dit-il « doit accepter d’autres règles pour assurer sa
mission ». Ce serait à elle d’adapter ses principes et ses valeurs et
non pas à ceux qui la fréquentent et sollicitent des mutations conformes
à l’évolution du pays. Face à ces nouveaux défis, il ne serait plus
possible d’inclure tous les élèves dans un seul et unique modèle. Oui
mais.
Vive la pédagogie différenciée! |
Politiques et élus, pédagogues et
idéologues, chacun y va de sa petite phrase, de sa recette et de ses
réformes. Et chacun se trompe bien entendu.
Que penser de la suffisance insupportable de certains experts qui
continuent de dire que seuls 2% des Français représentent un danger pour
la République, et disons-le franchement, pour notre avenir et notre
sécurité. Parmi eux, citons Olivier Bobineau, sociologue des religions
et formateur des imams.
Non content de répéter à qui veut l’entendre que, dans l’histoire de
notre pays, l’Etat est en rupture avec la religion depuis les guerres
entre Catholiques et Protestants au XVIème siècle (non-sens historique
grossier), il considère que les jeunes musulmans sont en « crise
identitaire », victimes de la marge où on les a rejetés (etc., etc., on
connait la musique). Il revendique d’autre part l’idée d’un islam
compatible avec la laïcité car en très grande majorité intégré aux
valeurs de la République. Monsieur Bobineau devrait se rendre davantage
dans les écoles françaises où fleurissent les bandeaux islamiques et les
tuniques musulmanes contraires à la loi (de mars 2004) sur les signes
ostentatoires d’appartenance religieuse.
Sirine, 15 ans, élève de 3ème, se
présente le 4 décembre 2012 au collège des Prunais à Villiers-sur- Marne
(Val-de-Marne) avec une longue robe noire et un bandeau noir sur la
tête. Malgré de nombreuses tentatives ratées de dialogue avec la
famille, et en vertu de la loi de 2004, de la Charte de la Laïcité et du
règlement intérieur de son établissement (qui interdit les
couvre-chefs), la direction du collège décide d’exclure de cours Sirine
tout en continuant à l’accepter dans l’établissement. Après trois mois
de conflit avec le Rectorat de Créteil qui soutient la décision du
principal du collège, les parents obtiennent une réintégration dans les
cours par un référé-liberté auprès du tribunal administratif de Melun
qui précise que l’intéressée « ne confère à sa tenue vestimentaire
qu’une qualification de mode. » (Le Parisien, 19 et 20 mars 2013).
Le Rectorat de Créteil soutient que « Sirine persiste dans son refus
d’enlever son bandeau qualifié d’islamique (… et) manifeste
ostensiblement son appartenance religieuse (car elle) aurait tenté
d’entrer dans l’établissement avec un voile et se serait absentée le
vendredi pour se rendre à la mosquée. » Saisi en appel, le Conseil
d’État annule la décision du juge des référés du Tribunal administratif
de Melun sans se prononcer toutefois sur le fond du litige à savoir : le
port du bandeau constitue-t-il ou non une entorse à la loi de 2004 en
tant que signe religieux ostentatoire ? Sur ce point, le Conseil d’État
reconnait qu’ « un doute persiste » (lecture N° 366749 du mardi 19 mars
2014).
Quelques jours plus tard, l’élève est
exclue définitivement de l’établissement par un conseil de discipline.
La maman porte plainte pour discrimination et harcèlement et précise à
l’AFP qu’elle fera appel de cette décision (Magazine Elle, 6 avril
2013). Les collectifs et associations ‘’contre l’islamophobie’’ se
déchaînent et évoquent une « véritable psychose nationale,
obsessionnelle et pathologique (…) [conduisant au] règne de l’arbitraire
et à cette violation caractérisée du droit à l’éducation de cette jeune
fille (Oumma.com, 5 avril 2013).
Marwan Mohammed (Sociologue) condamne
une loi stigmatisante » (Libération, 4 avril 2013). S’adressant
directement à Sirine, il ajoute : « Cette inégalité de traitement est
l’une des motivations de ta résistance. Tu es donc sanctionnée pour ton
indocilité [qui n’est autre que] la dignité fixée sur ton front. »
Comment faut-il interpréter ces mots lourds de sens ? Encouragement paternaliste au nom de la liberté d’expression ou incitation à la désobéissance civile au nom de l’islam ?
Comment faut-il interpréter ces mots lourds de sens ? Encouragement paternaliste au nom de la liberté d’expression ou incitation à la désobéissance civile au nom de l’islam ?
L’Humanité (17 mai 2013) en profite à son tour pour condamner la loi de
2004 « texte critiqué par le comité des droits de l’homme de l’ONU, qui
demande à la France de revoir sa copie dans un délai de six mois. »
Quelque temps plus tard, le site Ajib.fr annonce sur sa page Facebook
que la jeune fille a brillamment obtenu son brevet des collèges et la
félicite (11 juillet 2013).
Aujourd’hui, on le sait, le cas de
Sirine n’est plus exceptionnel. Chaque jour, collégiennes et lycéennes
de plus en plus nombreuses (des centaines probablement) se présentent
dans la même tenue dans les écoles des banlieues de France. Peut-on
toutes les exclure ?
(à suivre)